La Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles Alain Croix
Les Paysages
La répartition des landes est loin d'être uniforme en Bretagne. Celles des
campagnes du Pays Nantais au nord de la Loire sont particulièrement étendues au XVIIe siècle.
La carte de la superficie des paroisses confirme
la parenté évidente entre les pays à landes et les pays de grandes paroisses.
Le fait que les défrichements massifs n'aient été
opérés qu'au XIXe siècle, à une époque où la population n'était probablement pas plus nombreuse que dans les campagnes du XVIIe siècle confirmerait l'hypothèse d'un obstacle technique.
Il a fallu en effet résoudre un énorme problème d'engrais, et surtout d'amendements.
L'utilisation de la lande comme pacage est essentielle pour la vie quotidienne des familles paysannes.
La lande serait ainsi la réponse
la mieux adaptée à l'impossibilité matérielle, technique, de mettre en culture avec profit des terres trop acides.
Elle fait partie
d'un système de culture, d'un assolement à rotation parfois extrêmement lente.
Mais lande ne signifie nullement terre inutile : pacage,
matériaux, litières (bruyères) représentent un apport non négligeable pour les familles paysannes.
Agriculture
Diversité des grains : froment, seigle, avoine ; menus grains (mil en Pays Nantais, sarrasin)
Le blé noir, peu exigeant, quant au sol, poussant rapidement, sensible seulement aux variations de température est très bien adapté à la Bretagne.
Il joue à partir de la fin du Moyen Age un rôle comparable à celui du maïs dans le Sud-Ouest du Royaume au XVIIIe siècle.
Économie.
Extrême
diversité de l'économie bretonne au XVIIe siècle.
Partout deux grands produits agricoles de base (grains et bétail généralement)
et un grand produit commercial.
Le Pays Nantais manque de grains cependant (du vin, du sel, un élevage important, mais peu de grains).
Évolution de la conjoncture économique :
Dès
le début du XVIe siècle au plus tard, un essor indiscutable de la production se manifeste, d'abord sans doute dans la région nantaise directement influencée par ses échanges avec l'Espagne, puis dans toute la province.
Les guerres de la Ligue brisent brutalement cet élan dans la dernière décennie du XVIe siècle.
La paix est accueillie avec soulagement en 1598.
Nouvel essor au début du XVIIe siècle : l'expansion
se maintient au moins jusque vers 1660.
Etude démographique
En Bretagne, des ensembles de forte densité se dégagent avec netteté dans la répartition du peuplement avec en Pays Nantais, par exemple, les coteaux
de la Sèvre.
La répartition du peuplement reflète ainsi très nettement la richesse économique et confirme que cette richesse,
cette capacité à nourrir beaucoup d'hommes, n'est pas en Bretagne étroitement liée à la production de grains.
La Bretagne est bien une terre de diversité.
La Bretagne du XVIe siècle et des deux premiers
tiers du XVIIe siècle connaît une expansion démographique presque ininterrompue.
L'explication profonde de la résistance de la Bretagne
aux dépressions profondes qui frappe l'Europe, aux difficultés du XVIIe siècle aussi, est donc bien la variété de ses ressources :
à l'échelle des pays ouverts à l'agriculture, à l'industrie et aux échanges
et au niveau de chaque famille.
Pourquoi alors, à la fin du XVIIe siècle, cette économie supposée parfaitement équilibrée, cette croissance démographique
qu'elle soutient, connaissent elles des difficultés telles qu'un retournement de conjoncture se dessine, annonçant le déclin presque général du XVIIIe siècle.
En fait la Bretagne de la fin du XVIe siècle avait été relativement épargnée par les contrecoups des troubles, des guerres qui affectent alors une bonne part de l'Europe Occidentale.
Un siècle plus tard, elle en subit au contraire les effets directs ou indirects.
Depuis longtemps la prospérité bretonne repose ne partie sur les relations avec l'extérieur : la neutralité savamment sauvegardée par les ducs explique ainsi en partie le rapide essor maritime du temps de Jean
V.
La Bretagne a gardé ensuite et même développé de nombreuses activités tournées vers l'exportation en
jouant sur une gamme très ouverte de clients (Espagne,Portugal, Angleterre, Hollande).
Un bouleversement intervient à partir du milieu du XVIIe
siècle.
La Monarchie française prend réellement le contrôle de l'administration bretonne.
Cette monarchie utilise l'économie comme arme de guerre avec la multiplication des interdictions de commercer sur tous les produits.
Les mesures protectionnistes prises à l'encontre des produits manufacturés étrangers amènent des mesures de rétorsion dont sont victimes au premier chef les textiles bretons.
La prise du pouvoir par Louis XIV est donc une réalité profonde pour la Bretagne.
Les Crises
Les crises du XVIe siècle
ascendant.
1528-1533 : crise complexe en Pays Nantais (famine, peste).
1545-1546 : Crise frumentaire très nette en Pays Nantais (elle s'accompagne de la peste)
1563 : Crise en Pays Nantais (mauvaise récolte,
aggravation par la guerre)
Les crises de la fin du XVIe siècle.
1583-84
1591-1593 (3 années de mauvaises récoltes à suivre :
1590, 1591,1592) (passage de diverses troupes qui prennent ou perdent le siège)
La triple crise de 1591-1593 est le fruit d'une succession d'éléments
dont les effets se sont cumulés :
Trois mauvaises récoltes successives
Des « prélèvements » multiples et parfois énormes par les gens de guerre.
Perte des stocks
et des semences aggravées par le printemps pourri de 1592.
Il s'agit bien d'une crise frumentaire aggravée et même en partie causée
par la guerre.
1597-1598 (1596 et 1597 sont deux années de cherté avec une soudure difficile et de mauvaises récoltes) (Ravages de la guerre,
afflux de pauvres et développement de l'épidémie).
La trêve : 1600-1620
Aucune crise, nulle part, ne sévit plus de trois mois
La guerre et le
passage des gens de guerre n'apparaissent que très épisodiquement. La famine est absente.
Exception, en 1616, le Pays Nantais est le plus touché
par la « guerre des Princes » entre le Duc de Vendôme (gouverneur de Bretagne) et le Prince de Condé. Les armées des deux bords rançonnent les villes et les campagnes et les navires sur la Loire. Le 8 mars,
le recteur de Saffré indique que les soldats sont à Abbaretz, Nozay, Joué. Le passage des troupes, en lui-même peu meurtrier, engendre une crise frumentaire désastreuse.
Un nouveau paroxysme : 1625-1640
Une crise épidémique
(Peste) gagne toute la province en 1626 avec des résurgences parfois brutales ici ou là.
à la suite d'une mauvaise récolte en 1630,
la famine explique à Nantes et dans le sud de la Loire une extraordinaire poussée de la mort en 1631.
La petite crise de 1636 est la conjonction
de plusieurs facteurs : difficultés frumentaires, passages de troupes, nouvelle flambée de l'épidémie de peste (caractère endémique de celle-ci)
La dysenterie de 1639 fait connaître cette année là la plus grave épidémie de tout le XVIIe siècle et peut-être de toute l'histoire bretonne, avec un rôle indiscutable de la peste
et surtout de la dysenterie dont la violence doit être rapprochée de la sécheresse exceptionnelle de cette année.
La génération « paisible » : 1641-1668
Aucune grande mortalité ne
frappe la province pendant l'espace d'une génération.
Les calamités traditionnelles s'effacent, ou presque : La guerre ignore à
peu près totalement la Province, il n'y a pas de disette mentionnée, aucune crise démographique et des épidémies très localisées
La victoire sur la peste semble résulter pour l'essentiel de la lutte des hommes, d'un ensemble de petits progrès qui ,séparément, n'ont guère d'effet, mais sont indispensables à la réalisation
d'une politique d'ensemble enfin mise sur pied au milieu du XVIIe siècle.
Tournant décisif : « la centralisation monarchique victorieuse
de la peste » n'est peut-être pas qu'une formule.
Les caractéristiques des crises
bretonnes des XVIe et XVIIe siècles.
Des crises irréductibles à un schéma.
Les crises frumentaires se manifestent avec beaucoup plus d'acuité en Pays Nantais qu'ailleurs.
En revanche l'effroyable dysenterie de 1639 y frappe moins durement qu'ailleurs.
L'économie du Pays Nantais est gravement déséquilibrée
par la faiblesse insigne de son secteur vivrier.
En temps de famine les ressources extérieures sont bien peu à côté des moyens de
survie locaux.
La place des crises dans la démographie bretonne des XVIe et XVIIe siècles.
Les épidémies sont plus meurtrières que la famine avec une extrême irrégularité.
Les crises frumentaires tuent peu et s'en prennent généralement aux vieillards.
Les structures démographiques
de cette époque sont particulièrement aptes à digérer facilement des crises épidémiques.
Les crises démographiques
ont eu un rôle de régulateur principal en Bretagne au XVIIe siècle et sans doute au XVIe siècle.
En atténuant le rythme de
la croissance, elles ont probablement retardé ou atténué bien des difficultés.
La
guerre.
À partir de 1580, de véritables opérations militaires se déroulent, en se limitant jusqu'en 1588, au Pays Nantais.
L'adhésion à la ligue du gouverneur de Bretagne, Mercoeur, provoque une véritable explosion militaire.
« La guerre de la ligue fut une série de petits combats, d'engagements particuliers, de surprise, de pillages et de châteaux. » A. de La Borderie 1896-1904.
A part la guerres des Princes des années 1614-1616, qui toucha surtout le Pays Nantais, la province ne connaît plus que des exactions isolées.
L'impact réel de la guerre est tout autre que les faibles morts directes qu'elle entraîne :
Le « banditisme » spontané ou intégré dans une politique de terre brûlée en est l'aspect le plus spectaculaire.
L'effet en profondeur sur l'économie de ce banditisme.
La part prélevée par la guerre, si faible soit-elle, représente une
proportion importante dans un système ou réserves comme excédents sont très réduits.
A l'échelle de quelques paroisses
ou d'un pays, elle accule ainsi les plus pauvres à la mort ou à l'exode, dépeuplement qui à son tour diminue la production tant que les terres abandonnées n'ont pas été récupérées.
Avec un risque accru d'épidémies du au déplacement de pauvres gens dans des situations précaires.
On assiste à un certain « exode rural » pour la fin du XVIe siècle en Pays Nantais (et même au XVIIe siècle).
La guerre, les disettes, la cherté du blé poussent les pauvres ruraux vers la ville.
La rente foncière apparaît ainsi comme l'assurance sociale du temps et ceux qui sont totalement à l'abri de la pauvreté une minorité.