Milcent P.-Y., 2012 – Le temps des élites en Gaule atlantique.
Chronologie des mobiliers et rythmes de constitution des dépôts métalliques dans le contexte européen (XIIIe-VIIe s. av. J.-C.),
Rennes,
PUR, coll. « Archéologie & Culture », 253 p., 83 pl.
Analyse de l’ouvrage par José Gomez de Soto
Pages 315-316 du N°30 de la Revue Archéologique de L’Ouest de 2013
José
Gomez de Soto, « Le temps des élites en Gaule atlantique », Revue archéologique de l'Ouest [En ligne], 30 | 2013, mis en ligne le 25 décembre 2013, consulté le 02 février 2017. http://rao.revues.org/2228
Après Le premier âge du Fer en France centrale (Paris, Société préhistorique française, 2004) publication de sa thèse de doctorat, et un nombre appréciable d’articles importants,
Pierre-Yves Milcent donne, avec ce nouvel ouvrage, connaissance de son mémoire préparé en vue de l’obtention de son habilitation à diriger des recherches, brillamment soutenue en décembre 2010 à l’École
normale supérieure à Paris. Il ne s’agit pas d’une simple édition à l’identique, mais bien d’une version remodelée et enrichie.
Une première remarque à propos du titre : si les
élites sont omniprésentes, il s’agit, pour l’essentiel – ce que le sous-titre explicite - d’une sériation révisée en profondeur des dépôts de bronze non seulement de la Gaule atlantique,
mais encore de l’ensemble de l’Arc atlantique, des îles Britanniques à l’Ibérie, pendant l’ensemble du Bronze final et le Premier âge du Fer ancien.
La rédaction de l’ouvrage est d’une
qualité à laquelle nous ne sommes, malheureusement, que de moins en moins habitués.
Le propos est clair, étayé par la mise en œuvre d’une érudition remarquable : P.-Y. Milcent n’ignore à
peu près rien des publications anciennes comme récentes concernant le monde atlantique de l’âge du Bronze, il possède aussi une solide connaissance des données pour l’Allemagne, l’Europe centrale et l’Europe
du Nord, qui lui autorise de fructueuses mises en perspective.
Les points de vue défendus en début d’ouvrage balayent des idées reçues telles que le prétendu décalage culturel entre France de l’Est
et de l’Ouest, le tropisme méditerranéen, les notions de centre et de périphérie, ou encore la définition de bien de prestige, etc.
Souhaitons que ces mises au point bienvenues soient – enfin ! –
intégrées par la réflexion de nos collègues !
Le terme proposé de « Gaule de l’Ouest », qui étonnera certains du fait qu’il est question de l’âge du Bronze, nous paraît
tout à fait recevable, du fait des incontestables continuités de cette période à la période laténienne, continuités qui, pour certaines régions au moins, comme par exemple le Centre-Ouest, prennent leurs
sources dès le Bronze moyen.
P.-Y. Milcent démontre aussi que le rôle de l’Occident dans l’évolution culturelle ne doit pas être sous-estimé, comme il l’avait montré voici quelques années
déjà dans un remarquable article consacré à la transition entre les deux âges du Fer (« Premier âge du Fer médio-atlantique et genèse multipolaire des cultures matérielles laténiennes
», in Celtes et Gaulois, l’Archéologie face à l’Histoire, 2 : la préhistoire des Celtes, Glux-en-Glenne, 2006, p. 81-105).
À ce sujet, P.-Y. Milcent propose, avec raison, une vision équilibrée
qui évite de remplacer le désormais indéfendable tropisme oriental par un tropisme occidental, lequel évidemment serait tout aussi fallacieux, et propose la vision d’un monde multipolaire certainement autrement plus complexe
que celui que les schémas traditionnels nous ont présenté.
Cet ouvrage si riche défie toute analyse détaillée dans le cadre de ce compte-rendu.
La chronologie du Bronze final atlantique se trouve fortement
précisée, chacune des étapes traditionnelles, dont la pertinence est reconnue, se trouvant divisée en deux phases, chacune désignée à partir d’un ensemble clos éponyme, un dépôt le
plus souvent.
Un fait notable, par exemple, est la confirmation de la date un peu tardive de l’horizon de Rosnoën – le BF I de J. Briard – dont il n’y a plus à douter qu’il est précédé par
un « horizon de Malassis » pendant lequel dans les dépôts ou sur un habitat comme le Bois du Roc à Vilhonneur en Charente, des artefacts du Bz D s’associent au fond traditionnel du Bronze moyen III, sans éléments
annonçant l’horizon de Rosnoën (p. 83). Les réflexions sur le Premier Fer ancien (Ha C) sont particulièrement novatrices.
Un problème non négligeable était d’éviter de réutiliser
les termes BF I, BF II, etc., dont on sait de longue date que leur acception n’est pas la même selon qu’on traite de la chronologie occidentale ou de l’orientale.
Pierre-Yves Milcent résout la question en ajoutant un a
après BF : ainsi BF a1 désignera l’horizon de Rosnoën, etc.
Espérons que cette sage pratique, que d’aucuns avaient sans succès déjà proposé antérieurement, sera cette fois suivie !
Quant aux dates absolues des différentes phases du BF et du Premier Fer, elles posent des problèmes (insuffisance actuelle du nombre des datations 14C et quasi impossibilité des dates dendro-chronologiques en Occident) que Pierre-Yves
Milcent ne cherche pas à celer.
L’ouvrage démontre, n’en déplaise aux tenants d’une certaine mode actuelle, toute la nécessité de la poursuite d’une recherche archéométrique («
jamais terminée ni jamais suffisante », comme l’écrivait si justement le Pr A. Möberg, un des grands noms de l’archéologie processuelle dans les années 70) seule à même d’apporter les données
temporelles fines et fiables – ce que réussit pleinement P.-Y. Milcent, en proposant un phasage serré du Bronze final de la Gaule atlantique - indispensables préalables à toute tentative de reconstruction solide des sociétés
du passé et de leur évolution sociale : la mise en évidence de phases d’abondance des dépôts et de phases de repli voire de disparition, en est une éclatante illustration.
Une abondante iconographie,
avec cartes, tableaux et graphiques, permet de suivre pas à pas les développements de l’auteur. Une riche bibliographie (p. 193-206), un inventaire des dépôts avec la proposition de précision de leur datation (p. 207-239)
et un index toponymique suivi des résumés en français et en anglais complètent utilement l’ouvrage.
L’ouvrage de P.-Y. Milcent est incontestablement, pour la connaissance du Bronze final et du Premier âge
du Fer ancien atlantiques, aussi important que le demeure depuis 1965 celui de J. Briard Les dépôts bretons et l’âge du Bronze atlantique. Il en constitue un remarquable prolongement, appelé à devenir à son tour
et pour longtemps un socle indispensable pour les recherches futures.
Le temps des élites en Gaule atlantique
Chronologie des mobiliers et rythmes de constitution des dépôts métalliques dans le contexte européen
(XIIIe-VIIe s. av. J.-C.)
L’Europe atlantique, une périphérie lointaine ? C’est ainsi qu’apparaissent généralement aux yeux des protohistoriens les cultures de l’Occident européen. Cet
ouvrage pose les bases d’une vision critique et renouvelée de cet espace culturel étendu de l’Écosse à l’Andalousie, tel qu’il se dessine nettement entre le XIIIe s. et le VIIe s. av. J.-C. Les élites
sociales ayant joué un rôle essentiel dans la construction de cet espace, elles constituent un support privilégié d’étude dans cette perspective. Mais encore faut-il s’interroger sur la chronologie des vestiges
archéologiques à notre disposition, souvent datés trop récemment, et sur ce qu’ils représentent, notamment par rapport à leur contexte de découverte. ISBN : 978-2-7535-1812-4
Disponibilité
: en librairie Prix : 26,00 €
Conclusions Les dynamiques spatio-temporelles de constitution des dépôts métallique en Gaule Atlantique.
Extraits
« Afin de résumer le contenu des discussions sur la chronologie absolue des étapes et horizons de l'âge du Bronze final et du début de l'âge du Fer en Gaule atlantique, nous donnons ci-dessous
un tableau récapitulatif simplifié.
Les dates ont été volontairement arrondies au quart de siècle pour ne pas donner l'illusion d'une précision à laquelle on ne peut parvenir aujourd'hui. […] Le
tableau ci-dessous est extrait de la page 181 de l’ouvrage
Conclusions Les dynamiques spatio-temporelles de constitution
des dépôts métallique en Gaule Atlantique.
(suite)
[…] Evolution des pratiques de dépôt.
En association avec des représentations cartographiques, une approche plus nuancée de l'histoire
des dépôts (essentiellement terrestres) de la Gaule atlantique est donc à notre portée :
au BFa 1, on note que les dépôts sont constitués essentiellement d'armes offensives-épées et pointes
de lance- et de haches dont la fonction est polyvalente on le sait. Les parures sont proportionnellement très rares. Ces objets sont déposés entiers généralement, mais peuvent aussi bien être intacts que cassés
en quelques grands morceaux (dans ce dernier cas, il s'agit surtout d'épées).
Les déchets de coulée, en dehors de quelques ensemble du BFa 1 récent, sont absents. Les dépôts sont plutôt dispersés,
nettement moins nombreux et moins riches en restes qu'à la fin du Bronze moyen atlantique [...]
au BFa 2, la composition des dépôts se diversifie nettement (les parures apparaissent régulièrement désormais),
tandis que les manipulations des objets s'amplifient : ils sont plus souvent fragmentés et surtout lacunaires.
Des déchets de fonte et morceaux de lingot accompagnent régulièrement les produits finis. […]. Par
rapport au BFa 1, les dépôts semblent en nombre à peu près équivalent, mais contiennent nettement plus de restes, ce qui s'explique notamment par un taux de fragmentation plus élevé. […]
au BFa 3, le nombre et l'importance moyenne des dépôts sont tels que le contraste est saisissant avec les étapes antérieures (pl.82).
Toutes les catégories fonctionnelles fonctionnelles connues à l'âge
du Bronze sont représentées, mais souvent sous la forme de fragments d'objets et d'objets lacunaires.
Les nombreux morceaux, sauf exception, ne recollent pas entre eux.
[…] . Si l'on considère désormais les
dépôts du BFa 3 ancien, excessivement rares, on peut parler d'un véritable hiathus documentaire qui introduit une rupture par rapport au BFa 2.
Les dépôts du BFa 3 récent, doute encore plus nombreux que ne laisse
envisager la carte de répartition, et souvent très riches en nombre de pièces, matérialisent une autre rupture, mais en opposition à la précédente car on a l'impression d'observer une frénésie
dans la constitution des ensembles.
Pour l'archéologue, ces dépôts du BFa 3 récent écrasent complètement la perspective par la quantité d'objets et d'informations qu'ils livrent.
Au
1er Fer a 1, comme au BFa 3 ancien, intervient une nouvelle raréfaction drastique des sites, même si leur nombre peut-être légèrement sous-évalué (pl.83).
Il est possible en effet que la forte augmentation
des dépôts de haches à douille quadrangulaires armoricaines débute dès la transition 1er Fer a 1/ 1er Fer a 2, sinon même un peu avant.
La quasi absence de dépôts au 1er Fer a 1 ancien est en revanche
un quasi certitude.
Cette rupture est renforcée par l'extrême raréfaction concomitante des immersions d'objets métalliques […].
La composition des dépôts diffère également radicalement
des usages en vigueur au Bronze final et renoue d'une certaine façon avec les pratiques du Bronze moyen : les haches sont presque seules à être déposées et sont intactes, souvent à peine ébarbées.
Cette monotonie des dépôts ouvre une ère nouvelle, qui n'atteint son apogée que vers le 1er Fer a 2 récent où les ensembles se comptent à nouveau, comme au BFa 3 récent, par centaines, et les objets
par dizaines de milliers. Le phénomène ne touche toutefois plus que le Massif Armoricain […]
[… ] Cette histoire est donc marquée de profondes discontinuités dans les activités de constitution de dépôts.
Ces discontinuités peuvent traduire toute une gamme de réalités difficilement interprétables : moment de cessation, définitive, ou provisoire, des pratiques qui aboutissent à la constitution de dépôts,
évolution notable de ces pratiques qui rend difficile leur conservation, leur découverte ou leur identification précise, translation au profit d'autres régions, etc.
Ce que nous appelons des ensembles de transition correspond
sans doute la plupart du temps à des dépôts constitués à une époque où ceux-ci devenaient rares plutôt qu'à une période de véritable mutation morphologique.
Nos horizons bien
définis par des productions (BFa 1 récent, BFa 2 ancien ; BFa 3 récent ; 1er Fer a 1 récent) sont essentiellement la traduction des décennies pour lesquelles des dépôts ont été trouvés
en nombre et sous une forme variée.
Il en va de même de la céramique, documentée essentiellement pour certaines époques, celles où l'on creuse des fosses ou des fossés susceptibles ensuite de piéger
les tessons, ou bien celles où les habitats sont installés près des paléo-chenaux en cours de comblement qui vont aussi fossiliser ces matériaux : ce sont les évolutions de ces formes d'aménagement ainsi
que leur degré de fréquence qui donnent l'opportunité, ou non, de trouver en quantité du mobilier céramique.
Si nous avons pu appréhender les autre horizons métalliques, les horizons pauvres, voire fantômes
(BFa 3 ancien), c'est essentiellement parce que nos avons eu recours à des ensembles issus d'autres régions du domaine atlantique, en péninsule Ibérique et dans les îles Britanniques, et constitués à des moments
où leurs homologues étaient rares ou indigents en Gaule. […]
Sans cette arythmie des pratiques de dépôts à l'échelle de l'ensemble du domaine atlantique, nous n'aurions pu reconstituer cette chronologie
détaillée. Du reste, il n'est pas exclu que certains horizons nous échappent encore ...
[...]