Parures annulaires massives à décor incisé du Bronze moyen du nord-ouest de la France. Le type de bignan en question.
Marilou Nordez
Bulletin_APRAB_2013
« Les parures annulaires massives à décor géométrique incisé sont, notamment depuis la publication de la thèse de Jacques Briard en 1965, considérées comme l'une
des productions caractéristiques de la seconde étape du Bronze moyen en Bretagne (Briard, 1965[…]).
Très fréquemment en dépôts dans le Massif Armoricain, ces objets sont indistinctement désignés
par le terme de bracelets du type de Bignan lors de leur découverte.
Il semble nécessaire de revenir sur cette dénomination, aujourd'hui trop généralement et abusivement utilisée afin de décrire l'ensemble
des parures annulaires constituées d'une tige massive ornée de décor géométrique organisé en panneaux du Bronze moyen, ce qui de plus exclut certains exemplaires non décorés ou dont l'ornement est organisé
différemment, pourtant comparables d'un point de vue strictement morphologique.
Le terme d'espace armoricain sera utilisé afin de désigner la zone d'étude, composée de la Bretagne, des Pays-de-la-Loire et de la Basse-Normandie.
Les productions de ces régions se sont révélées relativement homogènes, avec un corpus de 243 exemplaires, issus de 69 sites différents.
Les zones voisines, notamment les régions Poitou-Charentes, Aquitaine,
Haute-Normandie, île-de-France, ainsi que le sud de l'Angleterre, ont elle aussi livré des parures annulaires à décor incisé, et elles seront utilisées ici à titre de comparaison.
Des bracelets ornés
en panneaux se trouvent aussi pendant le Bronze moyen en bien d'autres régions de France (Languedoc, Alsace, etc.).
Le dépôt de Kéran à Bignan (Morbihan)
En 1921, L Marsille signale la découverte d'un
dépôt associant 18 bracelets et fragments de bracelets à « un certain nombre d'objets divers » (Marsille, 1921, p21).
La reprise des données concernant cet ensemble a permis d'établir que les 18
parures annulaires massives (fig1) étaient associées à deux rivets appartenant probablement à un poignard, à deux masselotes cisaillées, à deux tranchants de haches en bronze, ainsi qu'à un lingot plano-convexe
(fig2)
Toutes ces parures possèdent une tige massive, et l'ensemble des exemplaires complets sont de forme elliptique ouverte, à trois exceptions près : deux anneaux sont à extrémités jointives et le troisième
est fermé avec des tampons simulés.
Il est à noter que cinq bracelets sont dissymétriques, déformés sur une extrémité. Le grand axe maximal des bracelets complets est compris entre 69 et 98 mm,
le petit, entre 61 à 77 mm. Les sections des joncs varient de 9,5 et 20 mm de largeur pour 5 à 8 mm d'épaisseur.
Leurs formes sont de formes assez variées : cinq bracelets sont strictement plano-convexes mais avec un
ou deux méplats latéraux, un est concavo-convexe, deux sont biconvexes, dont un possédant des méplats latéraux, et le dernier est à section subrectangulaire très irrégulière.
Concernant
leurs décors, ces objets présentent à nouveau une relative variété : un anneau est à décor continu, un à décor uniquement subterminal, deux ne sont pas ornés et les 14 autres possèdent
un décor organisé en panneaux, selon différentes dispositions.
Sept bracelets présentent des compartiments répartis symétriquement autour d'un panneau central, un est orné de deux panneaux répétitifs,
deux de panneaux variés et quatre décors sont incomplets ou partiellement effacés. »
« Pour une remise en question du type de Bignan.
Le dépôt de Bignan réunit donc des parures annulaires
possédant des caractéristiques morphologiques et décoratives d'une diversité certaine, impliquant une première réserve quant au regroupement de ces différents objets au sein d'un même type.
De plus,
certaines de ces caractéristiques ne trouvent aucune autre comparaison en zone armoricaine et constituent des exceptions morphologiques ou décoratives au sein de l'espace étudié. […]
L'utilisation du dépôt
de Bignan comme découverte éponyme pour désigner l'ensemble des bracelets massifs à décor incisé paraît au vu du corpus établi, assez peu pertinente.
Cette dénomination implique également
l'acceptation « Bignan » à tous les objets massifs possédant un décor géométrique réparti en panneaux sans prendre en compte les variétés d'ornementation.
Ces dernières
semblent pourtant correspondre à des choix identitaires : des variations décoratives très nettes apparaissent dans les différentes régions étudiées.
De même, comme l'avait déjà
souligné J. Briard, certaines parures annulaires possèdent des caractéristiques morphologiques similaires à celles des bracelets dits du type de Bignan tels qu'ils sont admis aujourd'hui (section, forme, extrémités),
mais elles sont inornées ou avec un décor limité aux extrémités (Briard, 1965).
A l'inverse, il existe des bracelets à motifs organisés en panneaux mais de morphologies singulières, du moins peu
représentées en zone armoricaine (section concavo-triangulaire, section rectangulière irrégulière).
Il apparaît donc clairement qu'un type unique ne permet pas la prise en compte de ces différentes particularités
ni de leurs combinaisons : les tentatives de subdivision du type de Bignan proposées jusqu'ici, souvent basées sur les variations décoratives, se sont révélées peu efficaces. En effet, ces dernières ne
permettent pas l'intégration des données technologiques au sein des classifications, desquelles dépend directement la morphologie.
Par commodité, c'est très souvent le terme de bracelet qui est employé pour
désigner ces objets, et nous l'utiliserons au sens générique, c'est à dire comme synonyme de parure annulaire.
Leur contexte d'enfouissement seul, essentiellement des dépôts, ne permet en effet que rarement d'en
envisager le port individuel.
Certains caractères morphologiques, tel que le poids et le diamètre, parfois très importants, incitent à remettre en cause une position de ces objets uniquement limitée aux poignets et
à l'envisager aussi à la cheville.
Au terme de « bracelet », il faudrait cependant préférer celui de parure annulaire, permettant de ne pas fausser l'interprétation de la fonction de ces objets.
Utiliser ce type de Bignan tel quel ne présente que peu d'intérêt, si ce n'est de se cantonner à attribuer les dépôts qui en contiennent au Bronze moyen.
Il semble nécessaire aujourd'hui d'en proposer
une redéfinition par une analyse fine des formes, des décors et de la répartition géographique afin d'approcher d'éventuels groupes de production, d'envisager au mieux la fonction et les modes de réalisation de ces
objets.
De même la réévaluation et l'affinement de la chronologie s'imposent : le dépôt de Bignan lui-même pourrait-être plus ancien que ne le pensait Briard, si l'on considère que les tranchants
de haches appartiennent plutôt à des haches de l'horizon de Tréboul qu'à des haches à talon […])
Vers une nouvelle classification des parures annulaires
Les défauts évoqués du type
de Bignan tel que défini jusque là nous ont conduite à reprendre l'ensemble des données concernant les parures annulaires massives à décor incisé du nord-ouest de la France dans le cadre d'un mémoire
de master 2, dont le présent article résume les principaux résultats (Nordez 2011) »
Parures annulaires massives à décor incisé du Bronze moyen du nord-ouest de la France. Le type de bignan en question.
Marilou Nordez Bulletin_APRAB_2013
« C'est désormais le jonc lui-même, par sa forme générale et celle de sa section, qui est considéré en premier pour organiser cette nouvelle classification de ces
objets ; cela permet aussi l'intégration d'informations morphologiques, mais également technologiques.
Par exemple, si les sections plano-convexes, rectangulaires et triangulaires permettent d'envisager différents types de
mise en forme, les sections concavo-convexes, biconvexes ou lenticulaires excluent une simple coulée dans un moule en une pièce ouvert, tout comme pour les formes à tige fermée.
Ces caractéristiques morphologiques
impliquent l'utilisation de moules à plusieurs pièces, ou encore de la technique de la fonte à la cire perdue. […]
Bien qu'il ait évidemment son importance, le décor n'intervient pour cette classification que
dans un second temps. En effet, qu'il soit réalisé dans un moule en cire ou bien par ciselage après la fonte, il s'agit bien d'un ajout qui n'influe pas sur la forme de l'objet.
Cependant l'analyse de l'organisation du décor
et des motifs représentés permet très souvent d'appuyer sur les tendances régionales détectées lors de l'étude morphologique.
Il existe de nombreuses possibilités d'ornementation sur ces parures
annulaires : décor organisé en panneaux (symétriques autour d'un panneau central, variés, répétitifs, etc.), décor continu, décor uniquement subterminal ou encore absence d'ornementation.
Concernant
les panneaux, ils sont pris en compte en tant que combinaison de motifs, c'est à dire que les motifs et leur agencement, formant un panneau, constituent un ensemble dont la décomposition ne présente pas réellement d'intérêt :
c'est bien l'entité formée qui est étudiée.
La position des panneaux sur les objets fournit également des résultats intéressants ; par exemple, certains panneaux semblent plus caractéristiques
de l'approche des extrémités, d'autres sont souvent utilisés en position centrale.
Pour les objets de parure, ce ne sont pas seulement les évolutions techniques qui régissent les formes, mais surtout des modes qui
correspondent à l'affirmation d'une identité.
Plusieurs groupes de production ont pu ainsi être mis en avant, regroupant des caractéristiques morphologiques et décoratives majoritaires dont la combinaison section-forme-extrémité-décor
semble correspondre à des tendances régionales relativement marquées, sans exclure pour autant l'importation ou l'imitation d'exemplaires allochtones. Ces variations concordent avec des techniques de production différentes, qui
influent sur les formes et les sections des objets.
Deux groupes ont ainsi pu être dégagés pour le quart nord-ouest de la France : l'un armoricain et l'autre s'articulant autour du bassin inférieur et moyen de la Seine.
Bien que les données soient encore incomplètes à ce jour, un troisième groupe pourrait être ajouté aux précédents, correspondant au Poitou-Charentes et au nord de l'Aquitaine.
Les différents
éléments ayant permis la définition de ces groupes sont avant tout morphologiques.
La zone armoricaine est notamment caractérisée par des sections plano-convexes et concavo-convexes, ainsi que par des formes ouvertes.
En revanche, les régions du bassin inférieur et moyen de la Seine diffèrent et regroupent essentiellement des parures annulaires à sections triangulaires et de forme fermée.
Les critères décoratifs
viennent confirmer l'existence de ces distinctions régionales : essentiellement des décors en panneaux variés, inscrits dans une gamme relativement restreinte de motifs pour le nord-ouest ; un seul et même panneau répété
plusieurs fois, avec éventuellement de légères variantes, pour le bassin inférieur et moyen de la Seine ; les panneaux répétitifs sont aussi bien représentés en Poitou-Charentes et au nord de l'Aquitaine,
zone également caractérisée par une abondance de décors continus (Gomez de Soto, 1995, Lagarde, 2012).[…] »
https://www.academia.edu/2961465/Marilou_Nordez_2013_-_Parures_annulaires_massives_%C3%A0_d%C3%A9cor_incis%C3%A9_du_Bronze_moyen_du_nord-ouest_de_la_France._Le_type_de_Bignan_en_question_Bulletin_APRAB_2013