Article de Yohann Gourdon, Historien, Spécialiste de la région de Nozay.
Saint Jean en Nozay
Etudiées il y a maintenant plus de cent ans, la chapelle et l’aumônerie de la rue Saint Jean constituent l’une des pages les plus passionnantes de l’histoire nozéenne. De nouveaux éléments
historiques, sortis notamment d’un corpus d’archives anciennes, apportent aujourd’hui un éclairage nouveau sur le sujet. Tout en corrigeant quelques erreurs, ils dissipent aussi une certaine confusion qui pouvait règner entre
la chapelle, la chapellenie, l’aumônerie et la maison des Hôspitaliers.
Il faut en effet bien identifier les termes rencontrés
dans les sources. L’aumônerie et la maison des Hôspitaliers désignent un même objet : un bâtiment situé au carrefour de la rue Saint Jean et de la rue de la Ferrière. A usage de dispensaire, il fonctionne
grâce aux revenus de la chapellenie de Saint Jean, qui représente un bénéfice ecclésiastique attaché à l’aumônerie. La chapellenie ne doit pas être confondue avec la chapelle Saint
Jean, bâtiment religieux situé au dessous de la maison Saint Jean. A noter que l’expression de « prieuré Saint Jean » entendue parfois est totalement fausse, le terme ne se rencontrant jamais dans les textes
et ne pouvant correspondre à aucune réalité sur le terrain.
La chapelle Saint Jean
Si la première mention écrite de la rue Saint Jean remonte à 1438, celle de la chapelle date de 1482, les deux existant assurément
depuis bien plus longtemps. Reste à prouver que l’appelation Saint Jean se rattache bien à l’Ordre de Saint Jean de Jérusalem (aussi appelé Ordre des Hôspitaliers), et non pas à l’un des nombreux Saint
Jean de l’église catholique. Une étude récente sur les Templiers et Hôspitaliers en Bretagne au Moyen-Age
mentionne effectivement parmi leurs biens des rentes prélevées en Nozay. Il est très difficile de déterminer quels biens en Bretagne appartenaient à l’Ordre du Temple ou à celui de l’Hôpital, la plupart des archives
conservées étant postérieures à 1312, date à laquelle tous les biens du Temple passent aux Hôspitaliers. Et c’est le cas pour Nozay, cité dans des sources postérieures à cette
date ; néanmoins la titulature de la chapelle Saint Jean laisse peu de place au doute, et elle a donc été tenue par les Hôspitaliers. La chapelle Saint Jean a ainsi certainement donné son nom à la rue où
elle se situait.
Si la présence des Hôspitaliers à Nozay est très probable avant ce début XIVe, malgré un manque de sources, la construction de la chapelle n’est
certainement pas leur oeuvre. En effet, dans un inventaire des biens de l’Ordre portant sur 60 paroisses, 56, dont ceux de Nozay, ne consistent qu’en rentes numéraires, et seulement 4 sont des chapelles. En outre, ces dernières n’ont
sans doute pas été édifiées sur leur ordre et leurs deniers, mais plutôt bâties par les seigneur locaux pour leur être offertes. Toutes les autres chapelles Saint Jean, comme celle de Nozay, sont aussi certainement
l’oeuvre et la propriété du seigneur du lieu, mais ici non pas données, mais plutôt prêtées aux religieux de l’Ordre pour la célébration de leurs messes. L’abbé Bourdaut
allait dans le sens de ces réflexions en rapportant qu’à la veille de la Révolution, les Nozéens demandaient au seigneur de Nozay qu’il réparât à ses frais la vieille chapelle, convaincus qu’il
en était le propriétaire.
A la Révolution, la chapelle Saint Jean et ses dépendances furent acquises
après confiscation par le citoyen Bivaud, le 4 fructidor an IV. Les listes d’inventaire des Biens Nationaux mentionnent que « la chapelle Saint Jean consiste en un appartement de cinquante deux pieds de longueur
sur vingt deux de large, sans plancher, avec lambris et mauvaise couverture, situé ville de Nozai rue Saint Jean ». Le terme appartement signifie qu’il n’y avait qu’une seule pièce, qui mesurait donc 15,60 mètres
de long par 6,60m de large. Sous sa voûte lambrissée, laissant passer quelques voies d’eau, la chapelle devait sans doute être d’une élévation importante, puisque son pignon donnant sur rue s’appuyait sur
deux contreforts, comme le prouve un plan de la ville en 1784 conservé à Rennes (plan 1). Un état des lieux de la paroisse en 1760 la décrivait déjà comme « très mal propre »,
confirmant son délabrement.
L’abbé Bourdaut affirme que la chapelle aurait été abattue au début du
XIXe siècle, cependant une partie des soubassements
a dû être conservée, comme le prouverait l’alignement concordant de l’ancienne chapelle et du bâtiment actuel. Autre indice, et très connu des nozéens, les arcades d’ouvertures anciennes sur le mur de
gauche de l’actuelle bâtisse, qui ne peuvent se rattacher qu’à un édifice religieux, et ancien de surcroit. Elles montrent que les niveaux de sol de la rue Saint Jean ont été largement surélevés à
force de remblaiements successifs, notamment lors du pavage des rues de la ville en 1778, et qu’à cette date-ci, ces anciennes ouvertures avaient déjà été rebouchées et remplacées par d’autres placées plus
haut. Les matrices du cadastre napoléonien de 1811 indiquent que le nouveau bâtiment appartenant à Claude Victoire Heureux a un usage de maison (n°361 plan 2), et donc qu’effectivement il a dû être en grande partie
reconstruit. Du pignon sur rue, certainement percé d’un grand vitrail, il ne reste rien ; d’ailleurs les plans du cadastre napoléonien ne portent pas les contreforts. La grande ouverture sous linteau de bois que l’on voit
actuellement, à usage de portail pour écurie ou remise à charrettes, ne date peut être même pas de cette reconstruction, puisque le bâtiment a certainement été à nouveau transformé, notamment
suite au projet d’alignement des façades lors de l’aménagement de la traversée de la ville par la route Nantes-Rennes en 1816, son pignon s’avançant trop sur la route projetée.
Plan 1 : plan de la chapelle Saint Jean en 1784
Plan 2 : cadastre de 1811 et avec ses deux contreforts. acquisitions Heureux.
Voir en bas de page
Concernant son utilisation cultuelle, on peut penser qu’elle ne servait
pas exclusivement aux Hôspitaliers, mais aussi à certaines cérémonies assurées par les prêtres de la paroisse. D’ailleurs, après le départ des derniers membres de l’Ordre de Saint Jean, ce sont
bien les curés nozéens, promus chapellains de Saint Jean, qui reprirent leur rôle. Elle servit aussi sans doute à d’autres religieux, comme ceux de l’Ordre de Saint Lazare au XVIIe siècle, ou de la confrérie de Saint Nicolas, très populaire dans
le comté de Nantes, et présente à Nozay jusqu’en 1783 sous la présidence de M. Besnier. La chapelle apparait ainsi dans les aveux nozéens dès 1636 sous le nom de chapelle Saint Jean et Saint
Nicolas. Son mauvais état en 1760 ne l’empêchait pas de servir encore fréquemment : on y disait trois messes par semaine, dont le vendredi, assurées par l’un des prêtres de Nozay. Le calice
qui s'y trouvait appartenait au prince de Condé, mais les ornements étaient propriété de la paroisse, autres indices que l’Ordre de Saint Jean et ses successeurs étaient bien simples utilisateurs de la chapelle. Les
dernières cérémonies religieuses furent celles citées par Bourdaut : « le mariage le 3 février 1688 de Jacques Hochedé, sieur de Bel-Air et de demoiselle Claude Davy, dame des Brossais, fille de Louis
Davy, sénéchal de Nozay ; et celle le 20 décembre 1685 de l’acte d’abjuration du calvinisme de la part du protestant René Godart, dit la Jeunesse, originaire de Folleville dans l’archidiocèse de Rouen,
en présence de M. Poligné docteur en théologie, délégué de l’évêque de Nantes, et de toute la bourgeoisie locale ».
L’aumônerie
Les
aumôneries ont été fondées primitivement par les Hôspitaliers avec une fonction de dispensaire et d’asile de nuit pour les pélerins, les voyageurs et les pauvres. Les mentions de l’aumônerie Saint Jean
sont nombreuses dans les aveux nozéens des XVe et XVIe
siècles. L’historien Léon Maitre pensait que les maisons de Saint Jean portaient plus volontiers en ville le nom d’aumônerie (comme pour Nozay au statut officiel de ville), et en campagne celui d’hôpital ; ainsi,
les rentes levées par les Hôspitaliers en 1580 à Saffré (au statut de bourg paroissial) le sont sur des terres portant le toponyme d’hôpital, situées entre la Bouzenais, Marignac et la Durantais.
Les enquêtes menées par l’administration ducale en 1444, et destinées à dénombrer les maisons exemptes d’impôt
du fouage et à réajuster ainsi la taxation de chaque paroisse, mentionnent à Nozay « une maison des Hôspitaliers franche ». Ce qui est désigné ici est l’aumônerie
de Saint Jean, ou maison de Saint Jean, déclarée comme toutes ses semblables exempte d’impôts par décision ducale en raison de l’oeuvre de salut public qu’elles représentaient. Le fait qu’elle soit
nommée « maison des Hôspitaliers » ne veut d’ailleurs pas dire qu’elle soit toujours tenue par eux à cette date, les aveux nozéens apportant la preuve que les Hôspitaliers sont déjà
partis en 1476. De fait, les rentes continuèrent d’être perçues par les Hôspitaliers, malgré leur absence physique à Nozay, pour en être reversées (sans doute partiellement) à un administrateur
de la chapellenie de Saint Jean. Ainsi, Dom Gilles Souesnet, prêtre nozéen, tient cette charge de chapellain de l’aumônerie Saint Jean de 1482 à 1509. Julien Symon, nouvel administrateur de l’aumônerie en 1554, précise
dans son aveu que ses devoirs sont toujours bien ceux d’une aumônerie fondée par les Hôspitaliers : « louger les paouvres de ladicte parroisse et aultres paouvres passant audit Nozay et leur administrer vivres ».
Les mentions les plus précises du bâtiment de l’aumônerie en 1744 et 1776 ne donnent pas de description ou d’estimation de ses
dimensions, mais rapportent qu’elle avait au nord de sa cour une « petite maison » pour dépendance, et un jardin au derrière. Elles signalent surtout que l’aumônerie est en état
de mazure, c.a.d. en ruine, et qu’elle est donc inutilisée. Elle est d’ailleurs abattue avant 1796 (proposition d’emplacement en n° 43 sur le plan 3). En effet, le citoyen Bivaud qui achète au titre des Biens Nationaux dans
un même lot la chapelle Saint Jean et l’aumônerie, n’acquière de cette dernière que la « petite maison, de dix sept pieds de longueur sur douze de large (5m par 3,60m), sans plancher, et couverture en ardoises en
mauvais état, avec terrein en vague dépendant de ladite maison et chapelle contenant six cordes et demie ». Sur le plan cadastral de 1811, le bâtiment de l’aumônerie n’apparait effectivement plus, et la petite
maison est dessinée telle que décrite en 1796, en numéro 360 de la section M, avec la cour et jardin en numéro 362, dépendant de la chapelle en numéro 361, le tout appartenant au même propriétaire Heureux
(cf plan 2).
La rue Saint Jean d’après les listes de contributions
dûes sur Nozay en 1744 :
« Article 39 : la maison des trois roys située au coté d’orient de la
rue Saint Jean et (vis) à vis la chapelle de ce nom.
Article 43 : la maison de l’aumônerie (43), cour au devant à
present en jardin (43b), et autre jardin au derrière (43c), et un autre petite maison au nord de ladite cour (43d).
Article 44 :
une maison située proche et joignant ladite aumônerie au sud, au nord l’article 45.
Article 45 : une maison située
dans la rue de la ferriere joignant du coté d’orient l’article 44.
Article 46 : un emplacement de maison et jardin appellé
la ganillere le tout situé au sud de ladite rue de la ferriere, joignant par endroit à l’article 45, par autre côté à ladite aumônerie ».
D’après les listes de contributions en 1776 :
« Article
43 : maison de l’aumônerie (43) aujourd’hui en mazure, cour au devant (43b), jardin au derrière (43c), et une autre petite maison donnante sur le pavé au nord de laditte cour (43d) ... l’administrateur des biens de
l’aumônerie de cette paroisse enrollé au payement de 3 sous, plus 6 sous 6 deniers.
(Variante) : l’aumônerie
rue Saint Jean. Maisons et jardins dépendants de l’aumônerie de cette paroisse situés près la chapelle Saint Jean de cette ville ».
Plan 3 d’après les listes de contribution en 1744 et 1776 (voir en bas de page)
Mais la gestion lointaine de leurs biens fut de plus en plus difficile à appliquer par la suite. Ainsi, dans un aveu au Roi du 4 mars 1679, le commandeur
de Saint Jean de Nantes, François de Luinnes Verdilles, eut du mal à justifier les droits de son Ordre, déclarant à la fin de son aveu que ses difficultés venaient que « ses prédécesseurs avaient
négligé de faire valoir leurs droits à la suite des guerres de la Ligue ». Preuve de la caducité de ses titres, il ne pût citer pour la paroisse de Nozay que des rentes levées sur des biens appartenant à
des personnes décédées vers 1580 ! En conséquence de ces rentes peu ou plus du tout levées, leurs missions ne pouvaient plus être assurées par les chapellains de Saint Jean. D’ailleurs, une enquête
du milieu de l’année 1678 menée par les services de l’Etat en vue de réformer ce système défaillant, constatait « que la salle basse de la maison Saint Jean ne contenait ni lits, ni paillasses, ni pauvres.
Le titulaire Charles-Chrétien de la Bodinière se défendit en répondant que la maison n’avait aucune dotation particulière, qu’il assistait les indigents avec le seul secours des aumônes qui lui étaient
remises ». En conséquence, l’Ordre de Saint Jean se vit retirer par arrêt du 16 février 1679 sa mission d’assistance sur Nozay, et l’utilisation de la maison de
Saint Jean fut accordée à l’Ordre de Saint Lazare, qui remplaça par ailleurs les Hôspitaliers dans bon nombre d’aumôneries. Le rôle et la place de la confrérie Saint Nicolas sont encore un peu flous,
le rapport de 1760 du recteur Hervouet précisant que « cette confrérie ne disposait d’aucun revenu en fonds, hormis les quatres sous que donnaient par an chaque membre ». Malheureusement,
devant la lenteur des résultats, le système dût de nouveau être réformé ; dès 1700 la maison de Saint Jean était gérée par le bureau de Charité de Nozay, nouvellement créé
et géré beaucoup plus localement, notamment par les marguilliers de la paroisse, ce qui fit affluer les dotations et assura son bon fonctionnement jusqu’à la Révolution.
Ces rentes de la chapellenie de Saint Jean nous sont détaillées et permettent de se rendre compte de leur modestie jusqu’en 1700. En 1554, les revenus sont tirés d’une maison et jardin en ville de
Nozay, ne rapportant au mieux de revenu annuel que « quinze sous, plus douze sous six deniers de rente que doibt Jehan Ferault sur ses héritages ». Les aveux nozéens situent cette maison dès 1486 dans la rue du Fresche,
et les rentes de Ferault dès 1476 sur les terres qui sont en train de devenir le domaine de la Naulière, et qui seront toujours dûes par la suite par le seigneur du lieu. Un autre aveu de 1535 nous signale une autre rente pourtant absente
de l’aveu de 1554 : 20 sous dûs à l’aumônerie sur le lieu de Beaujouet. Plus tard, le fameux aveu de 1679 nous donnant la situation des rentes à la fin du XVIe siècle mentionne 36 deniers sur deux maisons appartenant à Jean du Fresche, seigneur de Perret (les biens de la rue
du Fresche), plus 2 sous sur le lieu de Launay possédé par Pierre Potier, et 4 deniers sur les héritages de Mathurine Guiho. Si ces deux derniers sont confirmés par le corpus d’aveux, une dernière rente reste énigmatique :
18 deniers sur une maison au village de Pareil ( ?). D’un
total de quelques sous et deniers pour l'aumônerie, les revenus du bureau de Charité passent en 1760 à un total de 200 livres. L’un des derniers administrateurs, ou « petit père des pauvres »,
fut Jean Couroussé, en charge en 1790. Les ADLA possèdent un dossier assez fourni sur les rentes de l’aumônerie après 1700, mais sans grand intérêt ; cependant, le champ d’investigation ne demande qu’à
être élargi, en vue d’autres découvertes.
Yohann Gourdon, novembre 2017